Le lecteur trouvera ci-après le début du deuxième chapitre de La Chair du monde, extrait qui concerne plus particulièrement le Romantisme en tant que mouvement littéraire et philosophique inscrit dans l'histoire des 18 et 19ème siècles.
C'est ainsi le premier mouvement à se soucier explicitement de la question du lien (qui fait l'objet de mon livre), et qui s'efforce de retrouver la source vitale originaire, ou de "rejoindre la vie", comme le dit F. Schlegel.
"Le premier mouvement important qui illustre pleinement la résistance à l’omni puissance d’un tout rationnel et mécaniste est sans doute le Romantisme.[i] En effet, à cet égard il est historiquement le premier à se constituer comme un corps de doctrine, bien qu’on ait pu déceler des prémisses de cette pensée donnant la priorité à la sensibilité dans le piétisme aux 16ème et 17ème siècles, chez Fénelon ou même chez Rousseau – notamment dans La Nouvelle Héloïse.
Certes, en tant que qu’attitude face à la prose de la quotidienneté ordinaire et révolte vis-à-vis des valeurs bourgeoises, le romantisme est de toutes les époques. Il serait par exemple difficile de contester la dimension romantique de Mai 68 – même si ce n’est pas, bien sûr, la seule composante de ce mouvement. Cependant, le Romantisme dont il est question ici est à la fois une philosophie et une esthétique qui s’inscrit dans un moment particulier de l’histoire des idées, de l’art et de la littérature.
Ce mouvement se caractérise par une certaine ambivalence. La nostalgie d’un âge d’or, d’une unité originaire perdue, est très marquée chez ces différents poètes et philosophes ; et en même temps, leur quête vaut comme la promesse mystique d’une restauration de cet âge d’or. Leurs préoccupations furent pour les profondeurs du passé originel susceptible de restaurer le lien organique qui cimente le social ; d’où leur intérêt pour un Moyen-âge idéalisé, pour les contes, les légendes, ou encore pour un ailleurs - une Inde mythique, par exemple, qui serait le véritable berceau de l’humanité. Mais toute leur énergie se tourne aussi vers l’avenir, elle s’attache à cette trouée divine qui doit un jour résorber dans la lumière le cours temporel du temps. Hâter la grande réconciliation de l’homme dans l’harmonie future fut la vocation de la plupart de ces poètes et philosophes.
Le Romantisme oscille entre lumière et ténèbres. Son horizon est lumineux, mais cette lumière procède de la nuit, un peu comme cette nuit lumineuse des mystiques telle qu’on la trouve dans l’itinéraire spirituel d’un Saint Jean de la Croix. Comme le mystique, le Romantique passe par une épreuve, une conversion dans laquelle s’abolit sa vision diurne au profit de l’œil de l’esprit, qui est, lui, à la source d’une véritable connaissance. La part des ténèbres est l’une des composantes du Romantisme, qu’il s’agisse de cette dimension initiatique grâce à laquelle un Novalis va pouvoir « romantiser le monde », ou encore de cette mélancolie qui touche bien des poètes..."
[i] J’appelle « Romantisme » avec une majuscule le mouvement historique, essentiellement allemand et français, des 17ème au 19ème siècles. Le terme est une appellation a posteriori réunissant un ensemble de poètes, d’artistes et de philosophes parfois très différents. Pour les sources allemandes, j’ai une dette particulière envers Albert Béguin (1949 et 1991). Je n’oublie pas les britanniques qui seront rapidement évoqués dans le chapitre 6 comme une source du transcendantalisme américain.
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