Groupes d'entraide
"Une personnalité ne trouve précisément sa quintessence que dans l'effort qu'elle déploie pour surmonter sa souffrance"
Alexandre Jollien
Comme je l'ai indiqué dans le précédent message (Texte 1. Livre sur les groupes d'entraide ), l'un des buts de ce livre sur les groupes d'entraide était d'injecter un peu de pluralisme dans le milieu du soin des addictions, totalement tourné vers la réduction des risques depuis plusieurs années ; il s'agissait de se demander si l'on devait se résoudre à un modèle unique, ou si une approche pluraliste est encore possible (modèle de RDR certes, - et encore une fois elle est nécessaire et bienvenue -, mais aussi modèle d’abstinence en 12 étapes, modèle de gestion expérientielle, et d'autres encore, sans doutes). Toutefois, compte tenu de l'orientation assumée de mon livre il s'agissait surtout de voir si le système de soins français était compatible avec les fraternités.
Malheureusement, très peu de professionnels ont daigné honorer de leur présence cette soirée dans laquelle une discussion ouverte était possible. Il est vrai que (mea culpa) la date était mal choisie, et que des personnalités comme Anne Copel ou JP Couteron ont eu des empêchements (professionnels et familiaux).
Quoi qu'il en soit, dans une perspective pluraliste, la problématique est pour moi la suivante : on peut imaginer un spectre ; à l’une de ses extrémités, des personnes, des associations comme ASUD, voire des professionnels, dont la position consiste à dire qu’il n’existe pas tant un problème de consommation ou de dépendance, qu’une situation sociale stigmatisante, des interdits, etc., eux-mêmes au principe des difficultés et des souffrances liées aux substances. Le problème serait donc de travailler à changer le regard de la société, voire les lois, et à réduire risques et souffrances en attendant (avec des TSO, etc.).
A l’autre extrémité, les fraternités pour qui la dépendance est un réel problème, un problème en soi en quelque sorte, mais qui considèrent que cette épreuve peut-être appréhendée comme une source existentielle d’évolution, qu’elle peut s’inscrire dans une démarche permettant d’accéder à « la vraie vie », à une seconde vie quoi qu'il en soit, et qui proposent pour cela une méthode passant par l’abstinence.
Entre les deux, divers organismes et agents qui prennent acte d’un certain nombre d’évolutions inhérentes à notre société hyper moderne, qui se donnent pour finalités de réduire des souffrances, qui combinent et pondèrent accompagnement socio éducatif et RDR. D’autres encore voient le problème en termes d’éducation, de gestion expérientielle des plaisirs ; sans oublier la psychanalyse, les TCC, etc., qui s'insèrent à divers niveaux dans cette configuration.
Ces différentes options peuvent-elles coexister au sein d’un système de soins pluraliste, ou des choix sont-ils inévitables, - et, en ce cas, les jeux sont déjà faits (et donc, chacun pour soi) ? Sachant que, à mon humble avis, la solution ne peut se trouver dans une moyenne ou un consensus mou.
UNE APPROCHE STOÏCIENNE
De la discussion que nous avons eue au restaurant après la signature à l'espace Harmattan, je conclue que la dimension idéologique du soin ne peut être esquivée, sauf à jouer les Tartuffe; l'alternative se situerait donc entre une approche visant à réduire la souffrance, approche très en phase avec l'évolution moderne de la société qui tend à esquiver tout ce qui peut constituer le tragique de l'existence, et une autre approche (plutôt celle des fraternités et que personnellement je privilégie également), que j'appelle stoïcienne - mais qui est aussi teintée de nietzschéisme. Celle-ci consisterait à intégrer la dimension de la souffrance dans le suivi socio psycho éducatif, dans la mesure où cette dernière peut être transformée en une source d'évolution existentielle. C'est aussi un choix de société : comme le disait Nietzsche, les forts aussi doivent être protégés.
Tout le problème étant de savoir si une telle approche est institutionnalisable, ou si elle est définitivement réservée aux francs tireurs, ou, au mieux à certains membres des fraternités, - et sans que cette expérience soit universalisable de quelque manière que ce soit.
Dans le prochain message: la question de l'abstinence
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