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17 mai 2021 1 17 /05 /mai /2021 23:33

Alors que je viens de terminer le dixième et dernier Essai - portant sur l'amour - de La Chair du monde, je publie ici quelques extraits du sixième Essai concernant la puissance philosophique de la marche. D'ailleurs, comme je profite du déconfinement pour repartir marcher vers la mi-juin entre Toulouse et Pau sur le Chemin d'Arles, je crois que je vais laisser un peu retomber l'énergie de l'écriture, et profiter de cette pérégrination pour méditer avec un peu de recul la conclusion de ce livre pour lequel je me suis beaucoup investi depuis bientôt vingt mois .

 

Voici donc les extraits en question :

 

 

De toute évidence, la marche - ce geste simple et si profondément humain - possède un pouvoir régénérateur. Alors que nombre d'entre nous souffrent aujourd'hui d'une dispersion chronique, de l’impossibilité à se concentrer, il est notable que la marche de randonnée permet de se recentrer. Des recherches scientifiques anglaises (université de British Columbia) et américaines (une récente étude publiée dans les comptes rendus de l’Académie américaine des sciences) montrent ainsi que les randonnées réduisent le stress, l’anxiété, dopent la confiance en soi, et libèrent de l’endorphine ...

 

 

En tant que vecteur de ressourcement, cet acte simple est un formidable moyen de lutte contre les différentes formes de mal-être et les tendances dépressives inhérentes à l’hyper individualisme du monde contemporain dont souffrent les plus sensibles d’entre nous. En effet, dans ce contexte, l’angoisse du vide et de la solitude tend à générer des frustrations de toute nature et à entraîner une mutation du désir en répétition compulsive et en comportements addictifs. Nous sommes ainsi conduits à chercher toujours plus de satisfactions dans l'accumulation de biens matériels, d’honneurs, de connexions, ‘d’amis’ sur les réseaux, de substances, etc., - accumulation elle-même alimentée par une rivalité mimétique exponentielle. La marche est thérapeutique parce qu’elle brise cette mécanique implacable. En effet, elle fait partie de ces pratiques minimalistes autorisant un passage du quantitatif au qualitatif (cf. infra, chap. 5, § b) ...

 

 

La vie de Rousseau consiste ainsi en des alternances de vie sociale et de vie solitaire dans la nature. A la séparation d’avec les hommes succède un rapprochement heureux avec la nature au cours duquel se produisent des modifications progressives de son âme, modifications dont il rend compte au moyen de ce qu’il appelle un « baromètre intérieur ». C’est ainsi qu’il évoque un moment au cours de ses pérégrination – il atteint un certain degré énergétique – où s’établit un accord subtil entre lui et ce qui l’entoure. Plus il se tourne vers lui-même dans sa marche méditative, plus il découvre ce qui le dépasse et le comprend. C’est alors qu’émerge ce que Bruce Bégout appelle « le fond tonal de l’existence », sans division du moi et du monde. Ainsi, à l’encontre du petit moi social des tracas et des intérêts, le moi tonal se perd dans l’immensité, se plonge dans l’océan de la nature, ...

 

 

On pourrait parler de la marche comme vecteur phénoménologique en ce sens qu'elle permet de "revenir aux choses mêmes", comme le disait Husserl. Elle nous reconduit vers ce que Merleau-Ponty appelle "la chair du monde", vers les dimensions telluriques de notre rapport au monde et les rythmes cosmiques de l'univers. 

« Caminante no hay camino, se hace camino al andar » : pour le pèlerin, le chemin n’est pas déjà là ; il n’y a de chemin que celui ouvert par l’avancée au-devant de soi. Notre traduction, très libre (et qui est déjà une interprétation) entend signifier la dimension à la fois phénoménologique et existentielle de la marche. Tout se passe comme si le pèlerin, de même que le peintre ou le poète, s’extrayait d’un rapport utilitaire au monde environnant pour aller vers l’initial, un monde fait de signes, ‘avant’ la saisie rationnelle et pratico-technique de cet univers ...

 

 

Dans un tel rapport au monde, c'est d'abord le corps qui est sollicité ; c’est par lui, par la symphonie des sens pleinement éveillés, tout autant que par ses douleurs, que j’ai le sentiment d’être partie prenante du cosmos, et plus loin, d’un réseau de significations oubliées, mais subitement régénérées. Les arbres, l’eau de la fontaine, les lapins, le renard, les serpents, les cigognes, mais aussi les femmes et les hommes croisés sur le chemin, les paroles et les regards échangés, s’inscrivent alors dans un subtil réseau de sens...

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commentaires

P
Bonjour,<br /> Ma mobilité étant difficile depuis plus de dix ans, et en vous lisant, je m'aperçois que j'ai des sensations proches des vôtres, non en marchant, mais en lisant ! Autant dire que je marche dans ma tête... et suis sensible à tout ce que la nature m'offre de plus simple au quotidien que ce soit un ciel, une lumière, un oiseau, l'attitude d'une personne etc... Ayant été une "grande voyageuse", sac au dos, mes souvenirs s'associent à mes lectures et me permettent d'oublier mes douleurs.. Un autre rapport au monde qu'il faut bien accepter et une chance énorme d'avoir toujours aimé la lecture qui est une magnifique ouverture sur le monde. Merci pour vos écrits que j'ai particulièrement appréciés pendant cette année très particulière. Bien cordialement
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F
Merci beaucoup, Madame, de votre message qui me touche par sa sensibilité. Vous me faites penser à la tradition chinoise, qui remonte au 3ème siècle de notre ère, des peintres de Montagne et d'eau (Sanshui). Ces "voyageurs allongés" furent d'abord des ermites errant dans la montagne, qui retranscrivaient ensuite les tonalités affectives émergeant de leurs pérégrinations. Ensuite, quand ils étaient trop vieux pour marcher ils pouvaient refaire le même itinéraire spirituel. Je suis content que mes textes vous plaisent; j'espère publier le livre d'ici quelques temps. j'espère aussi vous retrouver l'an prochain en présentiel. Prenez soin de vous. Amicalement. Pascal

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TRANSMETTRE

La transmission de la philosophie et de l'esthétique est une chose difficile qui requiert la concentration de l'étudiant. Elle ne relève donc pas d'un discours démagogique ou sophistique dont la popularité médiatique n'a souvent d'égal que la pauvreté conceptuelle. Inversement, à l'attention des profanes, il ne peut s'agir non plus de procéder selon un discours élitiste, du type normalien. En ce qui me concerne, je dirais que mon but et ma profession de foi, que ce soit dans mes conférences, mes ateliers ou sur ce blog, c'est de tendre à rendre accessibles ces choses difficiles avec un minimum de déperdition conceptuelle.

 

 

 

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Penser la violence ; l'oeuvre de Girard

Paru en Mars 2018 chez HDiffusion, Penser la violence de Pascal Coulon. 20 euro dans toutes les "bonnes librairies"

 

 

La violence a fait au cours des deux derniers siècles l'objet d'une pléthore de recherches dans bien des domaines, et nombreux sont les livres qui ont traité de la question en lui apportant des réponses fécondes. Bien peu cependant l'ont abordée dans sa dimension génétique essentielle de violence fondatrice. Et, pour cause ! Penser que toutes les communautés humaines et l'ensemble des processus civilisateurs, avec leurs rites, leurs cultures, etc., trouvent leurs origines dans une violence radicale qui en constitue la fondation ne va pas de soi ! De ce point de vue, Freud semble bien avoir la paternité de l'idée fondamentale d'un meurtre initial, paradoxalement à la source de la civilisation, de la morale et de la religion. Mais ne s'agit-il pas d'un mythe ? La question de la violence ne requiert-elle pas plutôt une méthode indiciaire, s'appuyant sur des recherches et un matériau anthropologiques ? L'oeuvre de René Girard tend dans un effort continu, magistral et souvent solitaire à remonter contre vents et marées aux sources d'une violence à la fois effective, revenant périodiquement, fondatrice et génétique. Sans omettre les failles de la doctrine, l'auteur met clairement en évidence l'articulation des théories girardiennes, désir mimétique, victime émissaire, méconnaissance, et nous en découvre la fécondité pour penser notre époque. (4ème de couverture)

Pages

LES GROUPES D'ENTRAIDE

Pascal Coulon, LES GROUPES D'ENTRAIDE

Une thérapie contemporaine

Psycho-Logiques
 

De nombreuses personnes trouvent dans les groupes d'entraide des ressources pour lutter contre leurs souffrances, se reconstruire psychologiquement et recréer du lien social. Quel est le véritable potentiel de ces groupes ? Quelles sont les origines de ces fraternités ? Quelles sont leurs valeurs ? Comment expliquer leur relative confidentialité et les résistances que ces groupes rencontrent en France ? Cet ouvrage met en lumière les polémiques qui opposent vainement la psychanalyse aux autres thérapeutiques de groupe face aux sujets addictés.


L'Harmattan, 22,50 euro
ISBN : 978-2-296-10844-8 • février 2010 • 226 pages

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